vendredi 11 mai 2012

Urbanisme - Gaston Bardet et les cités-jardins

La cité-jardin de Bardet à Le Rheu : un urbanisme novateur et humain

Aujourd’hui, c’est dans la commune de Le Rheu à proximité de la métropole Rennaise que je vous propose de découvrir une « cité-jardin » réalisée dans les années 60. Expérience singulière et novatrice à son époque, cette réalisation est le résultat d’une rencontre et d’une complicité entre un élu, Jean Chatel, et un urbaniste, Gaston Bardet.


Le concept de "Cité Jardin"


Schéma logique d'une cité jardin - E.Howard
Chestnut Grove, New Earswick près de York - cité jardin de Raymond Unwin - début XXème siècle.


Les cités-Jardins sont nées à la fin du XIXe siècle, pour répondre aux différents problèmes de pollution ainsi qu'aux problèmes sociaux des villes industrielles. 
Si c’est un certain Raymond Unwin qui réalise les premières cités-jardins à proximité de Londres au début du XXème siècle, c’est Ebenezer Howard qui va théoriser cette conception de cité-jardin en 1898 dans son ouvrage « Tomorow: a peaceful path to real reform ».
Ce nouveau concept de cité-jardin a pour objectif de créer un nouveau type de ville planifiée et amener la campagne à la ville. 
Pensées en Angleterre, ces cités vont apparaître en France rapidement avant la première guerre mondiale et connaître un nouvel essor après ce premier conflit dans les années 20.

Les lotissements des années 60


Architecte Jean Ginsberg - le Grand Ensemble de la Pierre Collinet à Meaux - construction 1959-1969
Le lotissement du Grand Duc à Proville - 1970
Témoignages d'habitants des grands ensembles de Mont Mesly à Créteil - 1970


A la libération en 1945, la France se reconstruit et se modernise à travers un nouveau mode architectural et une nouvelle politique urbaine : le logement collectif et « Les grands ensembles ».

Cette nouvelle politique urbaine répond à l’explosion démographique et à l’exode rural que connaît le pays à cette époque. Cependant, elle est rapidement critiquée par les populations et crainte par les hommes politiques car il apparaît dans ces quartiers, un risque de contestation et d’explosion. Enfin, l’augmentation du niveau de vie des Français va se traduire par la volonté de plus en plus d’habiter une maison individuelle. Les villages en proximité immédiate des zones urbaines vont alors connaître une vague d'urbanisation. Celle-ci va s’opérer souvent sous la forme de lotissements uniformes, c’est-à dire une simple division parcellaire répartie de chaque côté de plusieurs rues parallèles. C’est ce type de lotissements qui va voir le jour dans un premier temps à Le Rheu. Cependant, le maire très déçu du résultat va chercher à créer un modèle d’urbanisation plus adapté à son projet.


La cité jardin du Rheu, l'oeuvre d'une rencontre


C’est en 1953 que Jean Chatel devient maire de la commune Le Rheu. A cette époque, la capitale bretonne Rennes connaît un développement économique exceptionnel. Elle voit s’implanter à l’ouest de la ville une usine de fabrication automobile « Citroën ». Ce développement économique s’accompagne d’un afflux de main-d’œuvre qu’il faut loger. Naît alors les quartiers de grands ensembles Rennais tels que Cleunay, Maurepas, Villejean, puis le Blosne.

A cette même époque, Jean Chatel réalise son premier lotissement selon un modèle classique mais il est rapidement déçu par le résultat. Le maire réfléchit à d’autres solutions et découvre l’œuvre « Le nouvel urbanisme » de Gaston Bardet. Il prend rapidement contact avec cet urbaniste. Gaston Bardet est avant tout un théoricien reconnu qui a rarement eu l'occasion de mettre en application ses idées. C’est la naissance d’une collaboration de 10 ans qui débute, lorsque Gaston Bardet accepte la proposition du maire de Le Rheu et s’installe dans sa commune en 1956. Quand Gaston Bardet pose le pied pour la première fois à Le Rheu, ce petit bourg rural ne compte alors que 900 habitants. En accord avec le maire de la commune, Gaston Bardet devient rapidement l'urbaniste conseil de la commune et propose un schéma d’urbanisation pour la commune.


Gaston Bardet, théoricien de l'urbanisme "culturaliste"


Gaston Bardet (1907-1989)
Gaston Bardet présentant le plan de Vichy en 1939

Urbaniste français de niveau international, Gaston Bardet est diplômé de l’institut d’urbanisme de Paris en 1936. En 1940, il devient directeur du laboratoire d’enquêtes et d’analyses urbaines. C’est à cette époque qu’il développe des méthodes pour analyser des structures sociales. Fait prisonnier en 1940, il s’évade trois jours après sa capture. Dès 1941, Bardet rédige et publie son premier ouvrage « Problèmes d’urbanisme ». Cet ouvrage sera suivi après la guerre de « Pierre sur pierre » en 1947, « Le nouvel urbanisme » en 1948, et « Mission de l’urbanisme » en 1949. Tous ces ouvrages expriment les bases d’une nouvelle vision de l’urbanisme, un urbanisme humain. En 1948, Gaston Bardet dirige un groupe de réflexion sur l'Habitat, l'Urbanisme et l'Aménagement des Campagnes pour l’Organisation des Nations unies. Par la suite, il enseignera « le nouvel urbanisme » dans différents pays du monde et dirigera jusqu’en 1973, les études de l’Institut international et supérieur d’urbanisme appliqué de Bruxelles. Toute sa vie, Gaston Bardet s’opposera au modernisme et à l’aliénation qui découle de l’urbanisme fonctionnaliste promu par Lecobusier.

La cité-jardin de Gaston Bardet à Le Rheu


La première étape du travail de Bardet va être de stopper l’urbanisation croissante autour de l’axe routier principale traversant la commune (N24) et de reconcentrer son développement autour de son bourg. Ainsi, le schéma de développement du bourg réalisé par Bardet va permettre à la commune de Le Rheu de redonner une forme urbaine originale, avec autour d’un centre bourg respecté, une ville pavillonnaire en « échelons-gigognes » qui encadrent des équipements collectifs. L’objectif fondamental de Gaston Bardet est de maîtriser le développement urbain sur la commune et ainsi éviter le désordre urbain. Son second objectif est de favoriser et de concilier le lien social, l'aménagement intelligent des axes de circulation, et la mise en place d'un cadre de verdure.

Les trois échelons réalisés par Gaston Bardet - Le Rheu - 1959-1967

Il organise son schéma de développement en cinq projets d’urbanisation. Seulement les trois premières étapes de son schéma seront réalisées par lui, à savoir : le lotissement Ouest, Est et Nord. 

Sa première réalisation est la création du lotissement Ouest en 1959.Il poursuit son travail en 1964 avec le lotissement Est et réalise le lotissement Nord dit « le lotissement des sports », en lien avec ses équipements en 1967 avant de quitter Le Rheu.



Ces trois lotissements ont été fondés autour de plusieurs principes:
Les axes de circulation ont un rôle majeur et structurant dans la réalisation de ces lotissements. La mise en place de voies rayonnantes à partir du centre bourg et circulaire entre les différents lotissements doit permettre une fluidité et la création de liens entre ces différents espaces de vie. De plus, Gaston Bardet réfléchit à la place du piéton dans la commune et réalise un réseau de sentiers piétons traversant les îlots bâtis et reliant les nouveaux quartiers au bourg de la commune.


En ce qui concerne la réalisation des maisons, Gaston Bardet privilégie les matériaux locaux. Il organise ces constructions en rangées avec un souci de mixité sociale. En effet, il propose dans ses lotissements, des parcelles plus grandes avec des maisons plus cossues à l’angle des rues. Son objectif est de réussir à faire cohabiter différentes catégories sociales autour des équipements collectifs et des espaces publics afin de favoriser la vie de voisinage.



On remarque chez Gaston Bardet un grand souci du détail, cela se traduit par plusieurs éléments dans ses lotissements. Tout d’abord, il va dessiner les plaques de rue et utiliser comme support la céramique. De même, il va choisir une palette de couleurs pour les volets des maisons et va dessiner les clôtures qui délimitent les parcelles. De la verdure va être intégrée à ses lotissements tout en conservant au maximum les haies bocagères et les arbres existants.

Enfin, il emprunte aux cités-jardins anglaises le concept de « close » qui est une petite placette fermée par les îlots de maisons et offrant ainsi du calme, de la verdure et de la sécurité pour les habitants. Ces squares fermés, ont la particularité à Le Rheu de porter le nom des arbres qui y sont plantés, ainsi on retrouve la place des Acacias ou encore la place des Tilleuls. Gaston Bardet a marqué durablement le paysage et l’identité de la commune.
En 1967, intervient un changement au sein de la municipalité, Gaston Bardet est mis à l’écart et ne peut terminer son programme. Quelques mois plus tard, il décidera de quitter Le Rheu. La suite de son travail sera réalisée par un autre urbaniste mais tournera le dos aux concepts de Bardet.


Avenue des Bruyères - Le Rheu - Google 2008

Panneau de rue de la Cité Jardin - dessiné par G.Bardet sur céramique




Les réalisations de Gaston Bardet démontrent à l’époque que le pavillon n’est pas synonyme de gaspillage foncier et que ce type d’urbanisation peut-être maîtrisé. Aujourd’hui, le thème de cité-jardin n’est plus employé, cependant ce concept demeure la base de l’idéologie de la ville nature ou de la ville archipel, une forme de continuité des principes d’urbanisme de Gaston Bardet.

Je vous incite, si vous êtes de la région ou de passage en Bretagne, à venir découvrir ces lotissements des années 60 et de poursuivre votre ballade dans les autres lotissements plus contemporains de la commune…Nostalgie garantie...

A voir...


Documentaire "Rue des Mésanges" (2002)


Philippe Baron a toujours eu du mal à dire d’où il vient. Est-ce la ville ? La campagne ? Il a grandi rue des Mésanges, à Le Rheu, en Bretagne. Mais qui a pu avoir l’idée de donner un nom d’oiseau à la rue où il a passé son enfance ? Pour répondre à ces questions, vingt ans après, il revient vivre au Rheu et découvre qu’il y a eu là, dans les années 60, une expérience d’aménagement périurbain…A travers des rencontres avec ses voisins, des retrouvailles avec ses anciens camarades de lycée, en utilisant des films super 8 inédits, Philippe Baron nous propose un portrait intime d’une “ villette ” qui semblait ne pas avoir d’histoire.

Coproduction Vivement Lundi ! / France 3 Ouest / TV Rennes 
en association avec France 5 avec la participation de la Région Bretagne, du CNC, de la DRAC Bretagne, du Conseil général d’Ille-et-Vilaine et de la PROCIREP.



3 commentaires:

ericrai a dit…

Très intéressant cette page d'histoire.
j'ai un mien de votre blog sur le mien.
http://urbanismeamenagementfiscalite.wordpress.com/

Anonyme a dit…

Je suis toujours surpris devant la candeur de l'urbanisme rennais ! Avant de répondre, j'ai été vérifier sur place, bien que je connaissais déjà un peu.
Ce que vous me présentez là, j'y ai vécu dès 1953, et même avant, près de Roubaix. En outre, ma belle famille habitait dans le bassin minier une maison des années 1920 où certaines communes respectées ce genre d'organisation. Leur point commun, ces constructions étaient directement liées à l'habitat ouvrier, à Hem (banlieue de Roubaix), il s'agissait d'habitation du CIL, des constructions financer par les industriels, une église neuve y a même été construite !
La grande différence au Rheu, c'est qu'ici il s'agit d'une des premières formes de rurbanisation, peut-être ce qui en fait son originalité !

JluK a dit…

Bonjour,
La notion de cité-jardin me turlupine, pourquoi les habitations minières ne sont pas prises en compte dans l'historicité ?
J'ai donc un peu approfondi le sujet et je me promets même d'explorer celui-ci plus à fond lors d'un prochain voyage dans le Nord. J'ai fait quelques recherches, j'ai même mis à jour la page Wikipédia (mise à jour soumise au jugement de patrouilleurs, donc pas forcément pérenne). Voici ce que j'ai trouvé :
La Cité Bruno à Dourges (1904) est candidate au titre de la première cité-jardin en France http://www.agglo-henincarvin.fr/Sortir-bouger-decouvrir/Culture/Patrimoine/Bassin-Minier-candidat-Unesco/7-Cite-Bruno-a-Dourges ; et même le coron dont les premiers exemplaires datent de la première moitié du XIXe siècle pourrait revendiquer cette appellation. Ces constructions n'étaient pas forcément frustes pour l'époque, mais beaucoup ont été détruits pendant la Guerre 14-18 (j'ai eu la chance de voir des photos de leur état précédent à Lens) et reconstruits plus sommairement.
Je serais preneur d'une visite commentée du Rheu, je pense que je vais me pencher plus avant sur les cités jardin, leur mauvaise gestion ayant probablement eu un rôle déterminant dans l'étalement urbain.
Jean-LuK

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